En France, Patrick Baudouin, avocat
des parties civiles, affirme avoir
décelé des divergences
dans la version officielle française
de l’identification des restes
des sept moines assassinés
en 1996 par le GIA. Y aurait-il une
faille dans cette version ?
Les moines avaient été en
levés dans la nuit du 26
au 27 mars 1996 dans
leur monastère isolé Notre-
Dame de l’Atlas, à Médéa au
sud d’Alger, ceinturé de maquis
où opéraient les groupes armés
islamistes. Le Groupe islamique
armé (GIA) avait revendiqué
cet enlèvement et l’assassinat
des moines français. Les têtes
des sept moines avaient été
découvertes le 30 mai 1996, au
bord d’une route de montagne.
Cet aspect du drame ne sera
connu que beaucoup plus tard.
Les corps des moines n’ont jamais
été retrouvés.
Selon le journal « Le Monde »,
repris par plusieurs médias français,
dans un télégramme diplomatique
du 2 juin 1996, l’ambassadeur
de France de l’époque,
Michel Lévêque, décrivait
la reconnaissance des têtes des
sept moines à l’hôpital le 31 mai
1996. Il mentionne des constatations
visuelles du médecin de
la gendarmerie », notamment
« des têtes dans un état
de décomposition avancé avec
putréfaction générale », ainsi
qu’une évaluation de la date
du décès des moines « entre le
16 et le 21 mai ». Or le médecin
des armées en poste à l’ambassade
de France à Alger, au
moment de la mort des moines,
Tantely Ranoarivony, spécialiste
de chirurgie faciale,
a contredit ces déclarations lors
de son audition fin juin par le
juge antiterroriste Marc Trévidic,
souligne « Le Monde ». « Je
n’ai pas donné d’indication sur
la date des décès car je ne suis
pas médecin légiste », a dit le
médecin des armées, selon son
procès-verbal dévoilé par le
quotidien français.
DIVERGENCES
TROUBLANTES
« Je ne me souviens pas avoir
donné à l’ambassadeur ces indications
qui paraissent très
précises », a-t-il ajouté à propos
des constatations anatomiques.
De son côté, l’ancien consul
de France, François Ponge, également
présent au moment de
l’identification, a déclaré au juge
qu’il avait posé au médecin »la
question de la date du décès ».
« Il n’a pas pu me répondre », a
déclaré le consul. Pour Me Patrick
Baudouin, avocat des parties
civiles, ces divergences
« soulèvent une interrogation
forte sur l’implication de l’ambassadeur
dans une connaissance
du dossier beaucoup plus
forte qu’il n’a voulu le reconnaître
». Ces témoignages « confirment
également la loi du silence
qui prévalait à l’époque et
mérite explication », ajoute t-il.
L’avocat croit avoir trouvé une
faille dans la version officielle
française, laissant entendre que l’ancien consul n’était
pas au parfum.
En tous cas, ces deux témoins
entendus par les juges français
chargés de l’enquête sur la mort
des sept moines de Tibéhirine en
1996 ont semé le trouble sur les
conditions d’identification de
leurs restes. A côté de cette séquence,
une autre est restée sans
explication de fond. Côté français,
on se souvient que le 30
avril 1996, un envoyé des ravisseurs
se présente au consulat de
France à Alger et livre une cassette
audio dans laquelle l’un
des moines disait notamment :
« Il est demandé au gouvernement
français de libérer un certain
nombre d’otages appartenant
à ce groupe en échange
de notre libération, cet
échange semblant être une
condition absolue. »
Du côté français, également,
il est reconnu aujourd’hui que
« deux filières » s’activaient pour
gérer ce dossier : « d’un côté, la
direction générale de la Sécurité
extérieure (DGSE), à la demande
du Premier ministre de
l’époque, Alain Juppé, de l’autre
Jean-Charles Marchiani, sollicité
par le ministre de l’Intérieur
d’alors, Charles Pasqua, pour se
rapprocher du renseignement
militaire algérien ». Mais, à Paris,
début mai 1996, Alain Juppé
désavoue officiellement le
groupe Marchiani et lui demande
de cesser « toute tractation
relative aux moines de Tibhirine
». Les « tractations » ont-elles
cessé pour autant ?
AUDITIONS
SUR FOND DE MENACE
TERRORISTE
Toutes ces séquences, parmi
d’autres, de la tragédie des sept
moines suscitent un embrouillamini
franco-français qui pourrait
être levé dans les prochaines semaines.
Récemment, le président
français Nicolas Sarkozy a
déclaré qu’il n’y aura pas de
« secret défense » sur ce dossier.
L’ambassadeur Michel Lévêque
doit être entendu jeudi
par le juge Trévidic.
Le général en retraite des services
français Philippe Rondot
doit être également entendu sur
ce dossier. Rondot avait déjà été
entendu par le juge Jean-Louis
Bruguière en décembre 2006,
sans apporter d’éléments nouveaux.
On estime, à présent,
qu’il va devoir s’expliquer et ne
plus se retrancher derrière le secret
défense.
Selon la presse française, le
juge Trévidic dispose maintenant
de documents déclassifiés,
à sa demande, par la
commission consultative du
secret de la défense nationale,
dont trois notes du général
Rondot, plus une copie
de ses fameux carnets personnels
rendus célèbres dans
le cadre de l’affaire Clearstream.
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Source : Le Quotidien d'Oran