Première poignée de main, celle
avec un responsable des services
du renseignement chargé de
nous « accompagner » durant les entretiens
prévus avec les cadres des différents
services qui interviennent
dans la gestion de la compagnie Air
Algérie, mais surtout dans l’organisation
de ses vols sur les destinations
qu’elle dessert.
Refusant avec un sourire
bien sympathique de décliner son
identité, le « flic » nous aidera à nous
faire délivrer un laissez-passer en un
temps relativement court. « Tout le
monde doit avoir un laissez-passer
pour pouvoir accéder à ce qu’on appelle
les zones contrôlées, dans lesquelles
même les employés de l’aéroport
n’ont pas le droit de pénétrer, pour
des raisons de sécurité stricte, bien
sûr, » nous explique-t-il. Muni d’un
badge avec un carré rouge, notre accompagnateur
est habilité à circuler
dans les endroits de l’aéroport les plus
retirés. Ce sont des sites qu’aucun véhicule
ne peut atteindre s’il n’est pas
équipé, nous dit notre interlocuteur,
« d’un toit jaune et d’un gyrophare ».
Nous entreprenons ainsi une visite
de travail au niveau des différents
services régissant Air Algérie pour tenter
de comprendre quelque peu le
pourquoi des retards qu’accumulent
ses vols, jusqu’à faire sortir les passagers
de leurs gonds.
Direction la base de maintenance.
« C’est le salon du président Boumediène
», nous indique le responsable
par intérim de la division MRO (Maintenance
Repear Overhaul), qui nous
attendait dans le hall. « C’est un kit VIP
qui était placé dans le Boeing 727 des
années 70, dans lequel voyageait le
président Boumediène », nous dit Saïd
Boulaoued. Kit auquel il manque la
chambre, le bureau et les sanitaires.
Nous entamons la discussion avec
Boulaoued sur le fonctionnement de
la division maintenance. « Nous avons
des contraintes administratives depuis
l’entrée en vigueur de la loi de finances
complémentaire 2009 : elle a bloqué
tout le système d’approvisionnement
en pièces détachées, nous avons
des milliers de dossiers bloqués, les
fournisseurs attendent d’être payés, on
a beaucoup perdu en temps et en argent.
La crédibilité d’Air Algérie en a
pris un coup ». Le ton de notre interlocuteur
est alarmant. Aidé par le sousdirecteur
de l’Assurance Qualité, Laïd
Bouchama, Boulaoued expliquera
ainsi - arguments en main - les contraintes
surgies après la promulgation
de la LFC 2009 dans la gestion de leur
secteur. L’exigence du gouvernement
à faire appliquer les dispositions de la
LFC à l’ensemble des secteurs d’activités,
sans distinction aucune, lui
fait dire qu’« Air Algérie est traité
de la même manière qu’un vendeur
de cacahuètes ».
« VOUS VOYEZ BOEING NOUS
ÉTABLIR UN CERTIFICAT
DE CONFORMITÉ ? »
Boulaoued et Bouchama nous racontent
comment la compagnie peine
à acheter ses pièces de rechange et
à réparer ses avions avec tout ce que
cela implique comme incidences sur
la gestion de sa flotte et surtout sur le
respect des programmes et des prévisions
qu’elle établit. « Avant, on achetait
la pièce là où l’on voulait, on la
payait par transferts libres. On pouvait
ainsi la recevoir, la vérifier, la tester
pour la garantie pour ensuite payer le
fournisseur. Quand on a un AOG (Aéronef
On Ground), c’est-à-dire un avion
cloué au sol, en panne, je peux ainsi
commander la pièce et la recevoir le
même jour », rappelle Boulaoued.
« Aujourd’hui, je ne peux pas le faire
parce qu’il me faut une lettre de crédit
(Credoc) ; ce mode de paiement exige une longue procédure, ce qui pénalise
notre secteur. L’aéronautique
n’est pas simple », estime-t-il. Bouchama
le conforte en notant que « pour
des raisons de sécurité, on a toujours
eu ce qu’on appelle le document libératoire,
document qui nous permet
d’avoir la traçabilité de la pièce achetée
». Boulaoued ajoute : « En effet, on
ne peut pas se permettre d’acheter une
pièce sans certificat de traçabilité. Mais
aujourd’hui, les banques nous demandent
un certificat d’origine que le fabriquant
doit aller chercher auprès de
la chambre de commerce. Vous voyez
Boeing le faire pour nous prouver l’origine
de la pièce qu’il fabrique ? ». « C’est
nous qui avons besoin de lui et non le
contraire ! », dit Bouchama, qui lâchera :
« Eh bien, on nous envoie balader
! ». L’on fait remarquer que les retards
des vols Air Algérie ne datent pas
seulement de la promulgation de la
LFC. Boulaoued réagit en soulignant
que « ça s’est accentué ces derniers
temps. Avant, on n’avait aucun avion
en panne, aujourd’hui, on en a 6
ou 7 qui sont en souffrance dans le
hangar en raison des difficultés qu’on
rencontre pour commander une pièce
». Il avouera à demi-mot que les employés
sont souvent appelés à « bricoler
» pour dépanner des avions « en enlevant
une pièce de l’un pour la placer
dans un autre. » Le responsable de
la division Maintenance affirme que la
compagnie « a les ateliers et la compétence
qu’il faut, mais pour réparer,
je n’ai pas de pièces détachées ».
Parfois, pour gagner du temps, ditil,
« je suis obligé d’envoyer les équipements
en panne à l’étranger, là je
peux payer par transfert libre puisque
c’est un service et la loi le permet. Mais
ça me fait perdre du temps et surtout
de l’argent. Vous savez que la main-d’oeuvre
à l’étranger est plus chère que chez
nous. Ce sont des surcoûts inutiles ! ».
« ON A ÉTÉ OBLIGÉS
DE REVOIR TOUS
NOS CONTRATS »
En lançant ses plans de redressement
et de réorganisation, dont le dernier
mis en oeuvre date de janvier dernier,
la direction générale pensait sortir
la compagnie de ses torpeurs physiques
et matérielles vieilles de longues
années. Il fallait compter « au moins »
sans la LFC 2009. Adoptée le 30 juillet
2009, son entrée en vigueur, le 3 août
de la même année, semble avoir provoqué
un grand désordre notamment
dans le domaine industriel. Les responsables
d’Air Algérie s’en plaignent
: « On ne nous a même pas accordé une période de grâce ou
même le temps de lire la loi ! ». « On a
été obligé de revoir tous nos contrats
», affirme Boulaoued.
En date du 25 août 2009, son PDG,
Wahid Bouabdellah, écrit au DG
du contrôle des changes de la Banque
d’Algérie (BA) pour lui expliquer qu’il
était impossible de procéder aux
achats dont a besoin la compagnie par
lettre de crédit. Lettre qui exige, faut-il
le rappeler, pour une domiciliation à
la banque, un certificat de conformité
ou d’origine. Une procédure bien contraignante
en ces temps de bureaucratie
forcenée. C’est le DG de la cellule
de l’intelligence économique installée
auprès de la BA qui lui répond.« Il faut
respecter la loi », se contentera-t-il de
lui notifier. Lors de notre entretien avec
lui, Boulaoued avait les correspondances
en main. « Nos fournisseurs ont
tous refusé de nous délivrer les certificats
d’origine, » note-t-il. « On gère des
milliers d’items (pièces de rechange) :
imaginez-vous à combien de procédures
nous devrons procéder auprès des
milliers de fournisseurs que nous
avons ? », interroge Bouchama. Il ira
jusqu’au bout de sa pensée en précisant
que « si je dois suivre le raisonnement
de la gestion et de la prévision
qu’on nous reproche de mal faire, je
dois stocker les pièces : mais j’en stockerais
combien ? ». Boulaoued répond :
« Je ne peux pas stocker parce
qu’il y a le périssable et il y a le coût,
je ne peux pas stocker de l’argent pour
rien. La pièce aéronautique coûte les
yeux de la tête. D’ailleurs, les grandes
compagnies font un stock zéro ».
En plus, « l’aéronautique évolue
quotidiennement, les pièces sont améliorées
au fur et à mesure que la technologie
se développe. Sans compter
que 30 à 40% de ses pièces sont
en mouvement, en constante modification,
» continue le responsable
du MRO d’expliquer. Le sous-directeur
de l’Assurance Qualité précise
pour sa part qu’« évidement, les pièces
qui reviennent souvent, nous les
avons en stock. » Le 4 juillet 2010, le
PDG d’Air Algérie a aussi écrit au ministre
des Transports pour (re)poser les
problèmes que la compagnie rencontre
depuis la promulgation de la LFC.
CETTE LOI QUI ARRANGE
LES FOURNISSEURS
ÉTRANGERS…
Le ministre charge son SG de saisir
le DG du contrôle des changes pour
lui expliquer que le secteur de l’aéronautique
est différent et qu’il lui faudrait,
par conséquent, une législation spécifique. « Une année passée et personne
ne nous a encore donné de réponse
», relève Bouchama.
Au fur et à mesure que nous nous
entretiendrons avec les cadres de la
compagnie, nous entendrons dire
qu’Air Algérie a frôlé la catastrophe en
juin dernier. « Depuis que la LFC est
entrée en vigueur, nous subissons les
pires contraintes pour pouvoir la faire
fonctionner normalement ; les problèmes
que nous avons eu en juin dernier
ont été pénibles pour tout le monde
», disent ses responsables.
Autre entrave, la promulgation, l’an
dernier, par le ministère du Commerce,
d’une loi obligeant les entreprises
à soumettre toutes les pièces importées
au contrôle des fraudes. « Si je n’ai pas le
document des fraudes, je ne peux pas dédouaner
la marchandise. Alors, chaque
fois que j’importe avec toutes les difficultés
que j’ai énumérées, je fais aussi la
queue avec le privé pour l’avoir »,
affirme Boulaoued. « On n’a même
pas de couloir vert pour gagner du
temps », dit Bouchama.
Son collègue continue sur sa lancée.
« Autre point qui nous bloque, la
douane. Il faut toute un process pour
dédouaner une pièce. En 2008, on a
demandé des facilitations par écrit
mais nous n’avons rien obtenu ». Il rappelle
qu’avant 2008, « il y avait l’admission
temporaire par laquelle on
pouvait faire entrer un outil à titre locatif
ou gratuit, qu’on utilisait une fois
et qu’on renvoyait au fournisseur.
C’était faisable pour des opérations
de maintenance qui se font une fois
tous les dix ans… ». Bouchama le relaie
pour expliquer qu’« on pouvait recourir
à l’admission temporaire par
exemple aussi pour louer une plateforme,
un équipement pour inspecter
l’avion de l’intérieur, une inspection
qu’on fait tous les 6 ans. On l’a demandé
en 2009 à Boeing, il nous l’a
envoyée. Mais comme l’autorisation
d’admission temporaire nous a été refusée,
la plateforme a été bloquée à la
douane : au lieu de la garder pour trois
jours, le temps de son utilisation, elle
est restée bloquée 6 mois ». Sans contrôle,
l’avion ne pouvait donc pas voler.
« On a payé ainsi 10 fois le prix de la location
», a-t-il affirmé. « On ne peut se permettre
de laisser un avion en panne parce
qu’on n’a pas un autre soupape (de
remplacement) », dit Boulaoued. Il nous
raconte comment il s’est fait « remballer »
par les services de douane lorsqu’il a voulu
faire sortir un moteur d’avion pour remplacer
celui tombé en panne à Beyrouth.
« Le douanier m’a dit qu’il n’avait pas de
régime tarifaire pour un tel cas, » affirmet-
il. « Les douaniers eux-mêmes sont bloqués parce que rien n’a été prévu, il
faudrait à la limite adapter les lois en
vigueur », estime Bouchama.
« Avant la LFC 2009, on travaillait
avec la trésorerie des fournisseurs.
Aujourd’hui, ce sont eux qui travaillent
avec la nôtre », indique Boulaoued qui
ajoute que « le risque que nous fait
courir la lettre de crédit est qu’elle
permet au fournisseur d’encaisser
l’argent avant qu’on ne reçoive la
pièce. Tant pis pour la garantie,
la loi les arrange bien… ».
LE SYSTÈME D
D’AIR ALGÉRIE
La compagnie a tenté l’introduction du
PV de réception, c’est-à-dire, nous dit
Boulaoued, « un document prouvant la
conformité de la pièce à sa réception, mais
le fournisseur nous l’a refusé ». Il montre
un lourd courrier de fournisseurs étrangers
attestant de ce refus. L’implication
d’un organisme de contrôle pour juger
de la conformité de la pièce aurait,
selon Boulaoued « un impact énorme
sur le coût, soit entre 700 et 1000 euros
par pièce qui nous seront facturés ».
Boulaoued rappelle par ailleurs qu’
« en 2004, la flotte d’Air Algérie a été
retirée pour être remplacée. Il y a eu
un terrible manque d’avions. Avec les
deux ATR qu’on a récupérés chez Khalifa
en 2003, on a reçu en 2005 5 nouveaux
Airbus, 3 Boeing et 2 autres ATR
qu’on a pris de chez Khalifa aussi : les
choses commençaient à aller mieux. Entre
2009 et 2010, nous devons recevoir 4
nouveaux ATR et en septembre prochain,
on recevra 3 Boeing et les 4 restants arriveront
le premier semestre 2011 ».
Encore une fois, l’on précise qu’il
est question ici d’expliquer les retards
des vols. « Il est vrai que nous avons
beaucoup de choses en interne à améliorer,
mais avec la LFC, 2010 est une
catastrophe ! », affirme Bouchama. Il estime
qu’« on doit s’adapter à un environnement
qui ne nous facilite pas du tout
les choses. On a tellement de contraintes
qu’on n’a pas le temps pour nous concentrer
sur notre travail et sur ce que nous
devons corriger ». Nous nous dirigeons
vers la division Production qui comporte,
comme note son responsable,
« tout ce qui est opérationnel au sol,
dans l’aérien et la consignation et le
fret (gestion technique de la flotte). »
Hamza Benhamouda indique que « c’est
une nouvelle direction, interface de la division
Maintenance ». Pour changer de direction,
nos interlocuteurs nous feront
passer devant les services de Maintenance
et le hangar où étaient stationnés plusieurs
avions en panne, y compris des
avions militaires. « Nous faisons de la soustraitance,
toute la flotte des transports
passe chez nous », nous disent-ils. Il y
avait aussi en stationnement ce qu’ils
appellent « des avions clients, un avion
des lignes soudanaises, deux avions
libyens y étaient la semaine dernière,
nous leur faisons une révision
générale ». Les avions d’Air Algérie stationnés
sont en panne, en attente de
pièces de rechange. C’est à ce moment
qu’une voix dans le mobile (celle du
directeur financier, nous dit-on) fait
savoir à Boulaoued que la Banque
d’Algérie a répondu au SG du ministère
des Transports pour lui dire qu’elle n’oblige
pas à la fourniture d’un certificat d’origine.
« Enfin ! », s’exclament-ils.
Qui vole les bagages ou les
ouvre pour voler ? « Tout le
monde », répond Boulaoued.
Benhamouda pense que « ça
pourrait être les manutentionnaires
d’ici ou de l’étranger et autres agents.
Il y a aussi des complicités ». Le système
de télésurveillance (caméras) mis
en place un peu partout dans l’aéroport
enregistre parfois des séquences
qui laissent pantois. « Comme celle de
cet employé d’une institution-dont
nous tairons le nom - en service à l’aéroport,
observé sur une caméra en
train de mettre un ordinateur sous sa
veste ». Benhamouda explique qu’en
cas de vol de bagages, Air Algérie agit
sur la base de la convention de Varsovie
qui stipule que le remboursement
se fait selon le poids du bagage volé.
Autre propos, le poids des bagages
permis par la compagnie (20 k pour
la classe économique). « Il est ainsi par
rapport au volume de soute à ne pas
dépasser et à la masse maximum que
l’avion doit respecter pour pouvoir
décoller. Si on dépasse ce maximum,
on laisse des bagages exprès à terre
pour qu’il puisse décoller et on les
envoie sur un autre vol », dit Benhamouda.
Celui-ci pense cependant,
qu’« avec ça, on fait beaucoup de faveurs,
car on est souple et indulgent.
En plus, tous les Algériens connaissent
quelqu’un à Air Algérie sur qui
ils comptent… ». La division que dirige
Benhamouda s’occupe ainsi « des
opérations au sol, comme le traitement
des bagages, le nettoyage de la
cabine de l’avion, la préparation de
l’appareil au vol, le briefing de l’équipage,
l’assistance aux compagnies
étrangères qui desservent l’Algérie ».
Pour lui, les retards des vols sont
provoqués par plusieurs éléments. « Il
suffit qu’il y ait un accident sur l’autoroute
pour que l’avion fasse un retard.
Parce que dans ce cas, on attend
les passagers qui restent bloqués
sur la route ». En général, estime-t-il,
« ils sont nombreux à être en retard :
s’ils sont 150, je suis obligé de les
attendre, je ne peux pas faire voler
un avion presque vide. Aucune
autre compagnie n’attend les
passagers mais Air Algérie le fait,
parce qu’on comprend comment les
choses se passent ».
« 60% DES RETARDS
NE SONT PAS CAUSÉS
PAR AIR ALGÉRIE »
Les encombrements au niveau
des nombreux barrages de police qui
encerclent l’aéroport et les axes routiers
des alentours ne sont pas faits
pour permettre aux passagers d’être
à l’heure. « Ce sont tous nos programmes
qui sont chamboulés », dit-il.
« Pour rattraper les retards en juin dernier,
on a travaillé doublement, on
jouait sur les temps d’escale… ». Boulaoued
intervient. « On fait la maintenance
de nuit… ». « Là où on pouvait
gagner du temps, on intervenait », dit
Benhamouda. Pour lui, « 60% des retards
ne sont pas causés par Air Algérie.
Soit la citerne de Sonatrach n’arrive
pas à temps, soit le système informatique
d’enregistrement est en
panne, soit le tapis ne fonctionne pas,
soit les services de police sont dépassés…
». Il précise qu’ « Air Algérie a
une flotte de 33 avions : on ne peut
donc se permettre de clouer un avion
au sol et tous ces aléas ne nous
aident pas à respecter la gestion et les
prévisions qu’on fait pour une bonne
programmation de nos avions ». La
compagnie se débat dans le « désordre
» qui prévaut dans son environnement
immédiat, peine à répondre
aux exigences d’une réglementation
inadaptée à ses spécificités et tente de
faire face à des lourdeurs bureaucratiques qui sclérosent ses services. Face
au manque d’incompréhension du
gouvernement et à l’excès de zèle de
ceux qui font des lois sans en mesurer
les conséquences, ses cadres revendiquent
de l’indulgence. « Donnez-
nous le temps de nous adapter
! », réclament-ils aux législateurs,
en leur rappelant qu’ils ont fait des
lois qui exigent que « pour acheter un
stylo, il faut trois factures pro forma ».
Les responsables de la compagnie
avouent, en parallèle, que « les choses
ne sont pas toutes bonnes en interne.
» Benhamouda qui en parle
nous fait savoir qu’« on va lancer cette
année une formation technique
comportementale pour tous les agents
front office (guichets) commerciaux et
personnel naviguant. Nous avons lancé
des appels d’offres internationales,
il nous reste à faire le choix des écoles.
La formation est prévue dans le
budget 2010. » Il ajoute « qu’on va faire
aussi des formations de métiers ».
« Ce sont des recyclages », précise
Boulaoued. Il est question, selon
Benhamouda, de revoir les programmes
de ces formations. « On
est en pleine refonte des procédures.
Il faut rationnaliser nos efforts,
les synchroniser dans notre travail
en interne, c’est ce qui nous manque,
» avoue-t-il.
Il reconnaît quand même que « la
nouvelle organisation n’est pas assimilée
par tout le monde ». Sautes
d’humeurs, bouderies des équipages
parce que la nouvelle organisation
aurait bousculé certains privilèges ?
« Le tout existe, bien sûr, mais on
gère, » disent les responsables qui préfèrent
en minimiser les conséquences
sur le déroulement des opérations
programmées. Ils rappellent que depuis
2008, « il y a eu trois augmentations
successives de salaires, le but
étant d’améliorer la situation de tout
le monde sur la base de critères économiques
». Aujourd’hui, la compagnie
se targue d’avoir « redressé la situation
du point de vue des équilibres
financiers. » Equilibres établis,
nous dit-on, « après l’introduction de
plans de redressement ». Ceci étant
dit, Benhamouda persuade que « les
équipages sont des professionnels, ils
sont assez censés… Ils aiment leur
compagnie ». Mais, ajoute-t-il, « comme
partout, il y a des tir-au-flanc ! ».
« C’EST UNE BATAILLE
QUE NOUS MENONS
DEPUIS UNE ANNÉE »
Le ramadhan ne chambardera
pas plus les programmes. « Il y a peutêtre
un petit flottement au moment
de la rupture du jeûne. Quoiqu’avec
l’adaptation de nos programmes aux
nouveaux horaires du ramadhan, le
travail marche », estime Benhamouda.
Il pense que « peut-être même que
quand on ne pense pas à son ventre,
on travaille mieux et plus. L’année
dernière, le trafic a augmenté ». Boulaoued
rappelle que durant le ramadhan,
il y a des vols Omra.
Il est déjà 13 h passée (ce mardi,
nuit du doute du ramadhan). Nos interlocuteurs
proposent de faire une
pause-déjeuner à la cantine. Le couloir
en hauteur du hangar y débouche
directement. Menu : poulet, frites,
salade variée, raisin, eau minérale.
Nous serons placés dans
la salle où déjeunaient les pilotes
militaires venus s’enquérir de
l’avancement de la réparation de
leur avion en panne. Nous continuons
nos entretiens à table.
Boulaoued recevra cette fois-ci la
preuve attestant de la réponse « favorable
» de la BA qui lui a été donnée
quelque temps auparavant par téléphone.
Avec la précision que c’est
une réponse faite par le directeur de
l’aviation civile à Air Algérie. « C’est
une bataille que nous menons depuis
une année ! », s’exclame Boulaoued,
qui ne cache pas sa satisfaction. « L’acceptation
enfin du document standard international comme document
attestant l’origine et la conformité des
pièces de rechange d’aéronefs nous
soulage », dit-il avec le sourire. « Cela
va alléger nos démarches, même si
le Credoc continuera de nous bloquer, »
ajoute-t-il. Au fur et à mesure que nous
nous déplaçons, nous remarquons que
la télésurveillance est largement installée
sur les lieux. « C’est un site industriel
et de surcroît très sensible, »
explique Benhamouda, qui acceptera
de faire un petit tour sur la piste.
Nous nous arrêtons au niveau d’un
bâtiment qui abrite plusieurs directions.
Celle qui nous intéresse, c’est
la division Commandement Exploitation,
dont le responsable est en
même temps pilote. Boualem Annad
est donc censé bien connaître le métier
dans toutes ses facettes. Il entamera
la discussion sur « les problèmes
de mise en oeuvre des programmes
d’exploitation le jour J ». En cas d’accident
sur l’autoroute menant à l’aéroport,
de problèmes de météo, de
slot, l’avion fait du retard, ce qui est
indépendant de la volonté de la compagnie,
» explique-t-il. A propos de
slots, cette séquence accordée aux
vols pour décoller ou atterrir sur un
aéroport, Annad lâche d’emblée que
« les Algériens doivent savoir qu’on
n’est pas les seuls à voler. Les slots
sont organisés par les Européens,
gérés par des ordinateurs, il y a des
séquences, on a des positions, on est
tenu de se mettre dans le flot d’avions
qui volent en même temps que
nous. On subit les conséquences de
tout cela. Par exemple, la dernière
grève en France nous a pénalisés ».
La perte de slots par Air Algérie est
parfois due, selon lui, « à des opérations
menées au niveau de l’aéroport.
On attend les passagers en retard. On
fait parfois 3 vols avec un même avion.
Du fait de l’encombrement de l’espace
européen, on accumule des retards
considérables parce que le slot
qui nous est donné est retardé ». Autre
inconvénient, ajoute-t-il, « l’aéroport
d’Orly est fermé la nuit. Et
si on arrive tard dans la soirée à Roissy,
on nous fait payer une amende
de 20.000 euros. On paie pour éviter
les désagréments aux passagers. Il
faut que vous sachiez qu’un avion qui
fait trois vols cumule en fin de journée
trois heures de retard ».
« QUAND ÇA SE NORMALISE,
CE SONT LES EUROPÉENS
QUI PASSENT AVANT… »
Le chef de la division Commandement
Exploitation estime qu’« on ne
peut pas faire des miracles. Nous
sommes obligés de nous inscrire dans
ce flot de compagnies ». Souvent, les
passagers ne savent pas pourquoi le
vol est en retard, lui avions-nous dit.
« Comment expliquez-vous l’encombrement
de l’espace aérien et le slot
à une mère de famille qui est déjà bien
fatiguée avec les enfants qui voyagent
avec elle ? », interroge Annad. « Je
suis commandant de bord, je veux
partir à l’heure pour rentrer chez moi
à l’heure. En été, jamais je ne peux
le faire ! », se plaint-il. N’êtes-vous pas
débordé parce que vous êtes commandant
de bord et en même temps
chef de la division Commandement
Exploitation ? lui demandons-nous.
« C’est comme ça que fonctionnent les
compagnies ! », répond-il simplement.
Ses fonctions au niveau de la
division ? « On construit les programmes,
les vols charters pour toutes les
tours operators, les vols Omra ».
Quant aux cafouillages, Annad
en donne les causes. « On fait beaucoup
d’efforts durant la période du
Hadj, mais il faut nous comprendre
en ces temps où tout coïncide : l’arrivée
des émigrés, les départs de l’été,
les congés, en plus des vols pour
Montréal pour lesquels on multiplie
les fréquences, les passagers Omra…
Avec tout ça, si on a des problèmes
techniques en plus, on a facilement 6 heures de retard. On dépense beaucoup
d’argent pour prendre les passagers
en charge », souligne-t-il.
Benhamouda, qui assiste à l’entretien,
précise que « si on dépasse 5
h de retard, on prend en charge les
passagers. Mais parfois, ils refusent de
partir à l’hôtel. Il y en qui font des
problèmes pour rien. Pourtant, ce
n’est pas n’importe quel hôtel. Un 5
étoiles ! ». Mais nombreux sont les
passagers qui disent attendre parfois
des heures sans aucune prise en charge.
Benhamouda s’en défend. «
Quand il y a des grèves en France par
exemple, ce sont toutes les compagnies
qui sont touchées. Il est difficile
de trouver tout de suite un hôtel et
de signer la convention de prise en
charge. Ça prend du temps. Cela
nous est arrivé de prendre des hôtels
à 50 ou 60 km de l’aéroport.
J’avoue que quand l’attente est indéterminée,
on ne prend pas de
décision. Cela ne dépend pas de
nous. On attend pour voir clair. »
Annad tient à faire remarquer que
« s’il y a ce genre de problème dans
un aéroport européen, dès que ça se
normalise, ce sont les Européens qui
passent avant… ».
« NOUS SOMMES
BUREAUCRATIQUES ! »
Benhamouda fait savoir au titre
des efforts déployés, qu’« on a renfloué
nos programmes sur la France,
l’Espagne et l’Allemagne, le réseau a
grandi par rapport à la demande.
Nous avons aussi nos projections qui
tablent d’ici à 2014 sur 7 millions de
passagers ». La compagnie a reçu, il y
a quelques jours, deux avions sur les
6 qu’elle voulait affréter pour pouvoir
faire face aux flux de l’été. Annad
explique les difficultés rencontrées par
la compagnie pour affréter des avions.
« On construit des programmes
avec des prévisions d’année en année.
On fait très attention aux dépenses,
on calcule juste juste, une fois
déterminés le nombre de sièges, le
type d’avion, le PDG négocie avec le
ministre des Transports, avec le gouvernement,
nous sommes bureaucratiques
! », s’exclame-t-il. Il note que
l’affrètement des avions a ses conditions.
« Il faut des garanties de sécurité,
ça demande beaucoup de temps,
il faut donner les preuves de ce que
nous avançons à ce qui nous autorisent
à affréter, » dit-il. Mais, ajoute-til,
« Tout ça demande beaucoup de
temps, on arrive alors toujours les
derniers sur le marché. On prend ce
qui reste et plus cher ».
Benhamouda rappellera que les
deux avions affrétés sont arrivés 8
jours en retard. « Ce qui a provoqué
de sérieux problèmes de gestion en
juin dernier. » Annad estime qu’« on
peut programmer un avion une demiheure
avant le vol. Mais sur le terrain
de son exploitation, c’est tout autre
chose : le technique qui déborde, la
police aussi pour le contrôle. L’effet
boule de neige est assuré ! ».
Il ne manquera pas de rappeler que
« le PDG s’excuse d’ailleurs souvent
pour tous les désagréments causés
aux passagers ». Il convainc qu’Air Algérie
fait ce qu’elle peut. « Les autres
compagnies arrivent à gérer parce
qu’elles bénéficient des priorités européennes.
On nous donne à nous des
caps très éloignés. Parfois, même
nos voisins passent avant nous
parce qu’ils ramènent des touristes
européens. Nous, à bord, nous
avons des familles avec beaucoup
d’enfants et autres personnes qui
salissent l’avion. C’est une compagnie
de service public, alors on
ferme les yeux ! ».
Il fait savoir que la flotte va être
renforcée par 11autres avions. « On se
corrige », dit-il. Il laisse libre cours à
ses pensées. « Le président veut ouvrir
une ligne sur Shanghai, on rêve
aussi…On est en face de défis.
On est toujours en train de prouver aux autres qu’on est capable et qu’on
sait faire et qu’on fait ». La part du rêve
pour Annad : « On est poussé de
l’avant, on est tout le temps en compétition
avec nous-mêmes ! ».
LA PART DU RÊVE…
Pour Annad, la nouvelle organisation
« est une organisation cible, moderne,
de compagnie aérienne et non
de transport de voyageurs, qu’il
nous faut organiser et rajeunir son
personnel ». Ce qui oblige, selon
lui, « à faire quelques réajustements
parce qu’on ne peut réorganiser
sans problèmes ».
Il s’attardera quelque peu sur la
formation des pilotes. « La formation
d’un pilote revient à 25 millions de
dinars à sa sortie de l’école, en plus
de sa « qualif » (spécialisation), qui
coûte environ 40.000 euros. Et jusque-
là, il n’est pas encore pilote. Il faut
payer les instructeurs, lui faire une assurance
qui coûte aussi cher… Après
tout ça, il part pour une compagnie
où il est payé pareil que chez nous,
mais où il travaille comme un esclave
! », affirme-t-il avec amertume.
Il signalera aussi qu’« on fait quelquefois
des retards quand un pilote
programmé pour un vol nous appelle
à la dernière minute pour nous dire
que son enfant est malade. Alors, on
est obligé de le faire remplacer.
Ailleurs, les choses ne se seraient pas
passées comme ça. Il aurait été licencié.
Mais en Algérie, le travail est garanti
». Au passage, Annad préviendra
à qui veut l’entendre que les pilotes
qui ont choisi de par tir vers
d’autres compagnies ne pourront
plus revenir à Air Algérie. « On préfère
en former d’autres que de les
reprendre, » dira-t-il.
En ces temps d’inscription pour les
nouveaux bacheliers, une question
s’impose : comment devenir pilote ?,
lui demandons-nous.
La formation des pilotes se fait,
d’après lui, selon les besoins de la
compagnie. « Par exemple, nous
avons acquis 4 ATR, il nous faudrait
50 pilotes sur l’échéance 2011-2013, »
fait-il savoir. La sélection se fait selon
l’offre et la demande, mais « le minimum
requis par les candidats est bac
technique ou sciences ». Benhamouda
précise qu’« il est exigé
aux postulants le bac plus 2, plus
un concours ». Annad rectifie qu’il y
a une présélection qui se fait déjà sur
la base des dossiers.
Nous avons ainsi passé près de 5
heures à l’aéroport pour nous entretenir
avec les cadres d’Air Algérie.
Nous sommes transportés vers la sortie
par les bons services de Benhamouda.
« Ce sont les avions sur lesquels
nous allons simuler des entraînements
pour les secours et évacuations
en cas de catastrophe », nous
dit-il lors de notre passage près
d’un hangar. « Ecrivez que j’ai
besoin d’un toboggan pour commencer
les entraînements », nous
lance-t-il avec un grand sourire. Entraînements
qui devraient commencer
avant la fin du mois en
cours mais pour lesquels, dit-il,
« nous attendons l’homologation de
l’aviation civile. » Non sans préciser :
« Avant, on les faisait à l’étranger, ça
nous coûtait très cher ».
Dernier coup d’oeil avant notre
sortie de l’aéroport, l’endroit où plusieurs
avions semblent avoir été jetés.
« C’est le cimetière d’Air Algérie,
ce sont les avions qui ont été retirés il
y a plusieurs années de ça », dit Benhamouda.
Combien sont-ils ? Notre
hôte se contentera de nous répondre
par un sourire.
Nous achevons notre reportage
comme nous l’avons commencé, par
une dernière poignée de main. Nous
remercierons ainsi notre accompagnateur,
le responsable du renseignement
pour avoir « eu la patience
» de rester à nos côtés durant
ce long reportage…
Ghania Oukazi
Tags:
Dossier
Air Algérie
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Source : Le Quotidien d'Oran