Prévu depuis près d’une année et préparé
minutieusement depuis plusieurs jours, le spectacle
des feux d’artifice qui devait illuminer l’ouverture
officielle de la manifestation dans la soirée
d’aujourd’hui, a été annulé
d’une manière subite.
Il est vrai qu’une telle annulation ne concerne
pas un événement de portée politique
ou historique d’une importance éminente,
mais son caractère subit et ferme a
donné le ton à toutes les supputations possibles
et imaginables. D’autant que l’équipe qui
le préparait faisait vite, bien et en discontinu
pour que le site soit équipé de tous les matériels
nécessaires pour faire du lancement des
feux d’artifice un spectacle « magique. »
L’équipe française de « Féerie », l’organisatrice
du spectacle, était à pied d’oeuvre depuis
près d’une quinzaine de jours. Le fils du
patron de la société, avec l’un de ses assistants,
étaient venus en précurseurs il y plus
de deux semaines. Le contrat avec l’Algérie
a été signé il y a plusieurs mois. Jusqu’à jeudi
en début d’après-midi, ils étaient sept Français
à travailler d’arrache-pied sur le majestueux
site de Lalla Setti, un plateau qui surplombe
Tlemcen. Il a été choisi justement
pour cette « hauteur » qu’il prend sur la vallée
sur laquelle s’étend la ville avec toute sa splendeur
historique, culturelle et artistique.
David Hamon, le patron, en l’absence du
« papa », qui devait rejoindre Alger hier, nous
en parlait jeudi avec une grande émotion. Le
visage rougi par les rayons de soleil qui tapaient
en plein sur le site, Hamon préparait
l’événement avec ses tripes. Il semblait plus
ému que les fois passées où la société « Féerie
» était appelée par les Algériens pour organiser
des spectacles pyrotechniques à l’occasion
notamment de grands événements nationaux.
C’était la 9e fois qu’il le faisait à la
demande de responsables algériens. Il était
donc habitué au comportement très algérien
de responsables parfois imprévisibles, flegmatiques
et sans conviction. Mais lorsqu’il lui
a été dit que le spectacle prévu pour
aujourd’hui au soir ne devait pas avoir lieu,
il a eu le souffle coupé. Il nous le disait jeudi
soir avec un air triste et même une allure
quelque peu défaite. « Dommage, nous avaitil
dit, on y a mis tout notre coeur pour faire
rêver la population et la faire déconnecter du
temps et de ses réalités. »
Jeudi soir, nous avons fait le tour de la ville
pour tenter d’avoir les raisons d’une telle
décision, mais aucun responsable n’était en
mesure de nous en dire plus que nous savions
déjà, à savoir que le spectacle des feux
d’artifice a été annulé. Nous aurons droit à
un « l’instruction est venue d’en haut, on ne
sait même pas si le spectacle musical de Karakela,
prévu samedi soir (ndrl, ce soir) au
chapiteau de Lalla Setti est retenu ou pas ».
L’on relève que ce spectacle ne figure pas
dans le programme officiel qui a été remis
hier aux journalistes accrédités par la cellule
de communication de la Présidence de la République.
Il est mentionné qu’à 19 h, la cérémonie
officielle d’inauguration de la manifestation
« Tlemcen, capitale de la culture islamique
» le sera par le président de la République.
Ainsi, sur une instruction subite, il a
été demandé à l’équipe française, selon Hamon
qui a été rencontré jeudi soir au détour
d’une ruelle de Tlemcen, de tout démonter,
de remballer le matériel qui a été mis en place
dans les conteneurs et garder le tout pour
la prochaine fois. Il est clair que la première
idée dans la tête des Français est que les Algériens
ne les paient pas. Mais, selon David
Hamon, ils leur ont promis qu’ils le seront
« sans problème. »
LES CENTRES DES MALADIES
RESPIRATOIRES, UN HÔTEL POUR
LES JOURNALISTES…
Ceci étant dit, les spécialistes font remarquer
que les produits pyrotechniques sont périssables.
« A savoir s’ils tiendront jusqu’à
une prochaine fois qui mériterait que toute
la quantité qui a été commandée soit
« allumée ». Mais ceci est un autre problème
de planification et d’utilisation de deniers
publics à des fins impérieuses.
Tlemcen sera donc privée - sauf revirement
de situation de dernière minute - d’un spectacle
que ses promoteurs qualifient de « magique
». Tlemcen, la perle du Maghreb, s’il est
vrai qu’elle a tous les atouts pour l’être et pour
le rester éternellement, fait face à des difficultés
organisationnelles qui l’ont rendue nerveuse
et maladroite jusqu’en perdre la grâce
et l’élégance d’une telle stature. Si Tlemcen
a été, à l’âge d’or, la capitale des Zianides,
aujourd’hui elle n’arrive pas trop à s’imposer
comme capitale de la culture islamique parce
qu’elle n’en a ni les moyens ni les gouvernants
qui peuvent les lui assurer. Possédant
seulement 8.000 places d’hébergement, elle
se retrouve à accueillir plus de 15.000 invités.
« C’est trop grand pour nous, c’est géant,
c’est comme quelqu’un qui a une R4, qui
n’a pas de roue de secours et à qui on demande
d’aller en Afrique du Sud, » nous dit
l’un des responsables. C’est caricatural à
outrance mais c’est presque vrai. Les autorités
ont réquisitionné tous ce qui pouvait servir
de gite pour dormir. Les hôtels évidemment,
les résidences universitaires, les centres
de la formation professionnelle et même
les centres de santé.
Les journalistes accrédités sont logés dans
le centre des malades atteints de maladies respiratoires
situé sur le plateau de Lalla Setti.
Les chambres et les couloirs empestaient
l’odeur des médicaments. Occuper les lieux
à la place des malades nouait les tripes des
coeurs les durs. Il a fallu mettre les malades
dehors pour pouvoir le faire. L’on tente de
nuancer en expliquant que l’un des étages
est en réaménagement, un autre est fermé et
un troisième avait seulement une dizaine de
malades qui ont été « libérés juste pour trois
jours. » Quand bien même ! Des malades atteints
d’asthme risquent gros en ces temps
printaniers où le pollen sévit. Un grand nombre
de villas haut standing est aussi réquisitionné
: « elles l’ont été par le ministère de la
Culture, mais on ne sait pas pour qui ! », nous
disent des responsables.
TLEMCEN, UNE HISTOIRE
DE « GROS SOUS »
Les artistes ont répété, ces deux derniers
jours, de 9h à 2h du matin. « C’est infernal,
disent-ils, tout le monde s’y est pris à la dernière
minute ». Certains artistes s’estiment harcelés
et malmenés. « Rien ne va plus dans le
monde de la culture, il n’y a pas de culture
dans notre pays, le président de la République
doit se rendre à l’évidence et intervenir
pour sauver ce qui pourrait l’être, » nous disent-
ils. Le spectacle relatant l’épopée de
Tlemcen dirigé par le libanais Karakela aura
lieu, en principe, ce soir au chapiteau dressé
sur le plateau de Lalla Setti. Dès l’annulation
des feux d’artifice, l’on se demande s’il sera
retenu ou pas. Les supputations vont bon
train. L’on pense même que le Président risque
de « faire très vite et de repartir. » Des responsables
locaux pensent qu’il est curieux
d’annuler le spectacle pyrotechnique alors
que « c’est ça le clou de la cérémonie d’inauguration
de la manifestation ».
Certains supposent qu’il a été annulé parce
que « le monde arabe vit des moments
tragiques, le Président a dû intervenir pour
éviter qu’on pense de l’Algérie qu’elle se
permet de faire dans le faste alors que les
gens meurent ». D’autres estiment que « les
Algériens demandent à être logés et nourris
convenablement et les gouvernants se
permettent d’acheter des feux d’artifice de
grande facture ». Il est évident que « la grande
facture » est à tous les niveaux de la manifestation.
Tlemcen, nous dit-on, est une
histoire de « gros sous ».
Information de dernière minute : les ambassadeurs
et corps diplomatiques invités
à la cérémonie d’ouverture l’ont été deux
fois. « Une par le ministère de la Culture,
avec leurs épouses et pour 24 h, une autre
par la Présidence de la République, sans
leurs épouses et pour une journée ». La seconde
annule la première de fait.
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Islam
Tlemcen
Source : Le Quotidien d'Oran