Entendons-nous. Personne ne peut se
réjouir du sort des insurgés libyens,
coincés dans leur réduit de Benghazi. Personne
ne peut se satisfaire d’une victoire
de Kadhafi qui donnerait libre cours à des
représailles sanglantes et à un renouveau
d’une dictature ubuesque.
Faut-il pour autant se réjouir de l’intervention
militaire conduite par la Grande-
Bretagne et la France (Oh, le parfum de
l’expédition de Suez !), dont l’objet déclaré
est la protection des civils Libyens ?
La revendication démocratique et la
mise à bas d’un tyran doivent être naturellement
soutenues, sans ambiguïté. Elles
peuvent l’être de différentes façons. Il
y a toute une gamme de mesures qui sont
à la disposition des nations et des opinions
qui peuvent être actionnées, l’embargo,
voire le blocus, la saisie des biens des
dirigeants, la menace de traduction devant
des tribunaux, voire les pressions
« amicales » que peuvent exercer des dirigeants
occidentaux qui ont cultivé naguère
l’amitié du tyran.
Là, c’est tout de suite l’option militaire
qui a prévalu.
Après tout, peut-être est-ce l’urgence qui
a présidé à ce choix. Il fallait absolument
venir en aide à des populations dont le seul
tort est d’avoir revendiqué la fin de l’oppression
et la chute d’un dictateur.
La Grande-Bretagne et la France ont ainsi
réussi à convaincre la majorité des pays
membres du Conseil de sécurité de se rallier
à l’option de la force. Pour éviter, pensent
leurs dirigeants, le funeste rappel du
précédent irakien, ils se sont assuré le concours
de la Ligue Arabe et de certains des
pays qui la composent.
Il s’agit d’une bataille pour le triomphe
de la démocratie et de la morale, assène
le ministre français des Affaires étrangères.
Serait-ce donc sur cette base que les
Emirats Arabes Unis, le Qatar, l’Arabie
Saoudite ont rejoint le mouvement ?
A Bahreïn, une insurrection avec les mêmes
mots d’ordre que ceux brandis par les
révoltés libyens est écrasée dans le sang…,
avec le concours de militaires et de policiers
venant d’Arabie Saoudite et des Emirats
Arabes Unis, membres de la « vertueuse
» coalition. Les dirigeants du Yémen répriment
dans le sang, au prix de plusieurs
dizaines de morts, la contestation populaire
qui réclame la fin d’un régime corrompu. L’Emir du Qatar n’a pas particulièrement
la réputation d’être un parangon de vertu.
Qu’est-ce qui est en jeu ? Simplement le
sort de la population libyenne ? On a quelque
peine à croire que seule la fibre humanitaire
a conduit des dirigeants occidentaux
à plaider pour que la parole soit donnée
aux armes.
En vérité, ne s’agit-il pas plutôt de reprendre
la main et, surtout, de créer un
cordon sanitaire autour des pétromonarchies
du Golfe dont la chute éventuelle
aurait des conséquences bien plus importantes
que celle d’un satrape tel que Kadhafi
? Ne s’agit-il pas plutôt de circonscrire
l’incendie démocratique qui court dans
le monde arabe ? Ne s’agit-il pas plutôt de
mettre un frein, avec l’aide des alliés (les
fameux « dictateurs modérés »), au processus
d’émancipation des peuples du monde
arabe, processus lourd de tous les
dangers pour la pérennité du primat de
l’Occident, bien davantage que l’épouvantail
islamiste ?
Et puis, tout de même, ce sont ces mêmes
dirigeants, il faut le répéter encore et
toujours, qui sont complices de l’interminable
martyrologe du peuple palestinien
depuis des décennies. S’ils ont de la compassion
de reste, pourquoi ne l’exprimentils
pas en sa faveur ? Pourquoi délivrentils
des satisfecit au gouvernement israélien
en le faisant admettre à l’OCDE, en rehaussant
son statut de pays associé à l’Union
européenne, alors même qu’il continue sa
politique d’assassinat, de colonisation,
d’étranglement et de bouclage ?
Toute la sympathie du monde doit aller
vers les insurgés de Libye. Toute la réprobation
du monde doit aller vers leur bourreau.
N’oublions pas toutefois que ce bourreau
a été l’allié et le complice de ceux-là
mêmes qui ont juré sa perte.
N’oublions pas que l’écrasante majorité
des tyrans du monde doivent leur pouvoir
à ces « sauveurs » autoproclamés.
Le monde change. Les manoeuvres d’arrière-
garde ne modifieront pas le cours de
l’Histoire. Les peuples du monde s’emparent
de leur destin et veulent avoir leur mot
à dire dans les affaires internationales. Personne
n’a plus vocation à servir de bouclier
à des maîtres tout-puissants. Nous
sommes à l’aube de l’avènement de la démocratie-
monde. Le monde occidental n’a
pas d’autre solution, pour continuer d’exister,
que d’en prendre son parti et apprendre,
dans la douleur, la dure loi de l’égalité.
Brahim Senouci
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Source : Le Quotidien d'Oran